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Humans of Food #24
Vincent
Cuisinier à l'Ancrage Café

Vincent est un cuisinier autodidacte dans le domaine de la cuisine végétale.

Il va faire ses armes d’abord bénévolement pour s’amuser et faire plaisir à son entourage. Puis ensuite professionnellement avec son poste de cuisinier à l’Ancrage Café de la coopérative Pur Coop, au Kaleidoscoop.

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Peux-tu te présenter ?

Je m’appelle Vincent, j’ai bientôt 30 ans (mais pas encore). J’ai fait un DUT en génie biologique appliqué à l’alimentation et j’ai enchaîné après avec de la sociologie et des sciences humaines également appliquées à l’alimentation. Avec cette formation je suis devenu végétarien puis végane en me posant plein de questions sur l’alimentation. J’ai fait des recherches sur les protéines végétales et sur comment diminuer les protéines animales au profit de celles-ci. J’ai travaillé en distribution, j’étais responsable fruits et légumes à Biocoop, j’ai fait du maraîchage et là j’ai atterri à Pur Coop où je me suis senti très bien et où on m’a proposé de cuisiner à l’Ancrage Café.

Ce sont tes études qui t’ont données envie d’être végétarien puis végétalien  ?

Oui, alors il y avait déjà des personnes qui étaient végétariennes dans la promotion et j’ai eu beaucoup de cours sur l’homme et l’animal. Ces cours venaient questionner notre rapport aux animaux. Il y avait plein de trucs qui sont venus faire “tilt” chez moi ! Je pense que j’avais ce truc de ne pas vouloir faire souffrir les animaux. Du coup j’ai changé mes comportements alimentaires. J’ai d’abord été végétarien longtemps puis j’ai eu des périodes où j’étais totalement végane puis des moments où je ne l’étais plus, surtout quand je vivais en colocation. Le truc le plus compliqué pour passer de végétarien à végane c’est le lien avec les autres. Mais globalement, je me suis vraiment posé des questions sur ma place dans l’écosystème et c’est pour ça que je suis devenue végane.

Est-ce que tu as un souvenir particulier lié à la cuisine de ton enfance ?

Oui alors je pense beaucoup à ma grand-mère. Elle faisait énormément à manger. Elle était gouvernante pour des familles riches de Strasbourg. Elle s’occupait des enfants et des repas. Elle faisait plein de plats déments avec mille trucs dedans, surtout de la cuisine alsacienne. C’est un des trucs qui m’a fait développer un kiff sur l’alimentation. J’aimais manger mais je n'ai jamais eu de plaisir à cuisiner. J’ai commencé à m’y intéresser quand je suis devenu végétarien parce que je n'avais pas le choix. Et c’est là où j’ai vu et compris que c’était important de faire kiffer ce que j’avais fait. Faire à manger pour plusieurs personnes c’est cool, parce que tu prends en compte les croyances des gens, leurs allergènes, leur santé. Il y a plein de choses à prendre en considération. 

Je pense que ma grand-mère m’a donné le plaisir de manger, en tout cas. Elle me faisait des plats que je pensais ne jamais pouvoir remanger, mais à Pur Coop j’ai vu des plats qu’elle me faisait revisités végane. Le truc le plus dingue que j’ai pu remanger c’était les fleischnakas. J’ai pu le remanger une seule fois en plat du jour, faudrait que je leur dise d’en refaire d’ailleurs, c’était vraiment un gros kiff. J’étais trop content, ça faisait longtemps que je n’en avais pas mangé.

J’avais repris le carnet de cuisine de ma grand-mère, mais c’était très mal écrit et en alsacien donc c’était compliqué, mais j’ai trop envie de véganiser tous les trucs alsaciens bourrés de viande. (rires)

Quels sont les ingrédients phares de ta cuisine ?

Le tofu, c’est quelque chose que je kiffe vraiment. Au début, ça ne me parlait pas trop mais c’est vraiment une éponge. La plupart des gens ne mangent pas de tofu, ils trouvent ça dégueu parce qu’ils ne savent pas comment bien le cuisiner. Ce que je fais c’est que j’enlève un maximum d’eau dans mon bloc de tofu et je le fais congeler. L’eau qui reste dans le tofu se solidifie, crée plein de petits trous dedans et ça va absorber la marinade encore plus vite.

A partir de là, ce que je trouve cool c’est que tu peux y mettre ce que tu veux. Tu peux t’amuser dans tous les sens avec. C’est comme une pâte à modeler avec laquelle tu peux t’amuser à fond, l’habiller comme tu veux. Tu peux la cuire de plein de manières, la faire frire etc. Il y a plein de gens qui parleront des effets néfastes du tofu mais ayant bossé dans la recherche, je n’ai jamais vu une seule méta analyse qui disait quelque chose sur les soucis hormonaux du tofu. On parle aussi beaucoup de la déforestation de l’Amazonie liée à la culture du soja mais en réalité cette culture est à destination des animaux d’élevage pour les régimes carnés.

Le soja qui est directement mangé par les hommes et les femmes par le biais du tofu est à 95% produit en France. J’aime bien cuisiner mon propre seitan aussi (une sorte de similicarné constitué avec du gluten de blé).

Est-ce que ça t'est déjà arrivé de ressentir des émotions particulières quand tu cuisines ? Si oui, lesquelles ?

Quand ça se passe bien, je suis content. Je cuisine avec ma musique, je suis dans ma tête un peu comme une sorte de méditation. Les seules émotions que je vais ressentir de manière plus négative, c’est quand je suis parfois dans le rush, dans le speed.

J’ai la conviction que je cuisine pour les animaux, que je le fais pour les défendre dans un sens, donc quand je cuisine je donne une image au véganisme. Je me dois de donner une bonne image à la cuisine végétale pour que les autres la voient comme je la vois. Ça me met une pression volontaire qui est importante pour moi. Quand je cuisine ou que je goûte certains plats comme les Fleischnaka, ça me procure de la joie. Mais la plupart du temps j’aime être dans mon truc et me dire que “ceci ira bien avec cela” pour que les choses soient le plus équilibrées possible.

La dernière fois, en cuisine ils égouttaient du yaourt de soja pour faire une sorte de crème et je vais essayer cette année d’en faire un bibeleskaes ! La cuisine végétale me donne plein d’idées et me rappelle des souvenirs d’enfance quand j’étais à la fête foraine et que je mangeais des tranches de pain avec du bibeleskaes. J’aime recréer des choses qui me plaisaient à l’époque en version végétale.

À l’Ancrage café, tu ne cuisines pas qu’à des gens véganes ?

Ici non, il y a plein de monde, il y a des associations qui viennent. C’est important de voir, de faire une petite étude là-dessus, de savoir combien de personnes qui viennent manger sont véganes. Je ne pense pas que la majorité le soit. Il y a l’idée de la transition écologique ici mais je ne pense pas que la plupart se sentent véganes, peut-être flexitariens. Il y a déjà des gens qui m’ont dit qu’ils avaient fait le déplacement jusqu’ici pour ça, pour manger végane.

Pourrais-tu nous parler d'un plat/d'une cuisine qui t'a déjà fait voyager / qui t'a ouvert sur un nouvel univers ?

Je suis un grand fan de pizza ! Elle m’a un peu sauvée en devenant végétarien. Je n’ai pas découvert l’Italie en mangeant une pizza, je connaissais déjà l’Italie avant mais je pense qu’il y a une pizza qui m’a choqué plus que le reste. Il y avait une pizza que j’ai mangée à Dijon qui était incroyable en termes d’associations de saveurs avec des artichauts marinés dans du jus d’orange et une crème d’artichauts en base. Je ne suis pas sûre que ça soit végane, c’était végétarien à l’époque, mais c’était trop bon.

Je pense aussi qu’avant de devenir végétarien je me nourrissais pour vivre mais l’envie de manger des trucs vraiment bons est venue après en arrêtant la viande. J’ai découvert et j’étais choqué de découvrir les similis carnés et les associations de saveurs comme l’artichaut et l’orange ou le chou-fleur et la vanille. Ces associations me restent dans la tête. C’est des trucs dingues.

Qu’est-ce que tu aimerais transmettre de ta cuisine ?

J’aimerai casser l’idée qui dit que la cuisine végétale est chiante, healthy et ascétique. J’aimerai déconstruire les clichés la concernant. J’ai envie de transmettre que la cuisine végétale peut être bonne, grasse voire même mauvaise pour la santé et que en vrai c’est pas si grave tant que ça ne concerne que toi. J’ai envie de faire des trucs bons, gourmands et que les gens viennent se régaler. Ma manière de voir la cuisine est politique. J’ai envie que les gens veulent revenir. J’ai tout gagné si je fais kiffer les gens sur des légumes.

Aurais-tu un souvenir à nous partager dans lequel la cuisine t'a permis de transmettre quelque chose d'important pour toi ?

J’ai réussi à faire aimer le céleri à mon père. Déjà quand je suis arrivée et que j’ai dit que j’étais végétarien c’était la crise à la maison. Il ne voulait pas qu’on en parle. C’est un légume que je trouve très intéressant. Un truc que je ne savais pas du tout mais j’ai commencé à mariner des tranches de céleri, j’ai fait des faux steaks panés. Avec la panure et la marinade ça fait une texture très cool et ça atténue le goût terreux du céleri. Donc j’ai réussi à en faire manger à mon père. Cela rejoint ce que je disais avant, que par la cuisine j’arrive à faire kiffer des choses que les gens détestent. Le céleri n’est pas trop aimé par exemple et quand on arrive à leur faire aimer, c’est cool. Dans le cas de mon père c’est doublement gagné car il n’a pas trop validé ma végétalisation et mon discours politique.

Comment vis-tu ton expérience en tant que cuisinier dans une coopérative ?

Je la vis plutôt bien. J’étais très motivée, j’avais quelques expériences avant mais là je gère vraiment presque tout. Pas tout bien sûr parce qu’il y a la cuisine centrale, mais je suis amené à donner mes idées. Globalement on est derrière moi, si je propose quelque chose qui rentre dans les coûts, dans les marges. Mais si j’ai une idée, que ça semble faisable, on me laisse la liberté de le faire. Je trouve ça cool aussi d’avoir la cuisine ouverte pour entendre ce que les clients et clientes disent sur mes sandwichs, mes salades. Il y a moyen de s’adapter aux envies de chacun.es. Je peux faire mes propres sauces, mes propres pestos etc. Je suis vraiment dans la recherche et le développement qui vient de mon côté scientifique.

Il y a des salarié.es qui viennent manger plusieurs fois par semaine voire tous les jours donc c’est un objectif de faire kiffer les gens au quotidien. La limite c’est mon imagination et les marges. Comme ça, on ne s'embête pas à faire tous les jours la même chose sinon ça serait un peu ennuyant.

Avec qui préfères-tu cuisiner ? Comment es-tu en cuisine ?

Seul. Il y a ce côté méditatif dans la cuisine que j’aime bien. Il y a un côté très militaire comme dans l’armée et le côté rush dans la cuisine qu’on a tous.tes intégré.es ce système. J’adore être seul, faire mon truc, je mets la musique à fond. J’aime bien préparer les trucs en amont, j’ai ce côté laboratoire qui est resté en moi. Je reste aussi minutieux et stressé quand même.

Est-ce que tu envisages de re-cuisiner non végétal un jour ?  

Non pas du tout je n’en remangerai jamais non plus. Retoucher à de la viande et du poisson, jamais de la vie mais je pense que je pourrai cuisiner du végétal pour quelqu’un en essayant de me rapprocher le plus possible de ce qu’elle recherche dans la viande et/ou le poisson.

Signé : Catherine Regnier

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