Humans of Food #19
Liana
Cuisinière géorgienne à Strasbourg
Originaire de Géorgie, Liana est arrivée en France il y a 5 ans. Installée à Strasbourg depuis 5 ans, elle savoure le mélange des cultures et le transmet à ses enfants. En collaboration avec l’équipe de la pizzeria Pecora Negra lors de l'édition strasbourgeoise 2023 du Refugee Food Festival, elle a concrétisé ce désir de mélange, en créant une kachapuri aux saveurs italiennes.
Peux-tu te présenter ?
Je m’appelle Liana, je suis géorgienne, je suis arrivée en France en 2018 avec mes enfants. Je suis née à Kobuleti, dans la région d’Adjara près de la mer. C’est une ville avec beaucoup de touristes, mais j’avais beaucoup de problèmes donc pour moi c’était différent, j’ai perdu intérêt pour toutes les personnes là-bas.
Après déjà 4 mois j’ai trouvé du travail dans un hôtel au Couvent du Franciscain. J’ai commencé à prendre des cours de français qui étaient obligatoires. Après j’ai fait beaucoup de formations, de cuisine, de couture, j’ai tout fait. Pour moi c’était très important parce que je ne peux pas rester à la maison. Si je reste un jour, 2 jours, 3 jours à la maison je réfléchis à ma vie d’avant.
Qu’est ce qui t’a amené à te diriger vers la cuisine ?
Quand j’étais petite, mes parents étaient très durs, je ne pouvais jamais cuisiner. Par exemple je voulais faire un gâteau mais ils me disaient « non, non, non, tu ne peux pas faire ça », après j’ai demandé si je pouvais faire une salade « non, non, non, tu vas mal le faire ». Je me suis dit que quand je serai grande je ferai réellement tout ce à quoi je pense.
Plus tard, quand j’étais au mariage d’un voisin, le chef m’a demandé si je pouvais l’aider. Alors j’ai dit pourquoi pas. Ce cuisinier m’a dit que j’étais très douée et que je pourrai ouvrir un restaurant un jour. Mais il ne connaissait pas ma situation à la maison. Petit à petit j’ai commencé à aider les gens en cuisine, mais mon mari voulait que je reste aider à la maison.
Je voudrais beaucoup ouvrir un restaurant ici, mais j’ai un peu peur car c’est très difficile. Il faut beaucoup d’argent. J’adore les mathématiques, compter etc, mais au restaurant tout est très précis ; que ce soit pour les quantités, tout doit être au milligramme près. Par rapport à l’argent aussi, il faut être très précis et ton restaurant peut faire faillite à tout moment. Mais je pourrai commencer avec quelqu’un, faire un peu géorgien et un peu français, ou un peu géorgien et un peu italien… Ça c’est très bien car je peux découvrir une autre culture, française, italienne, chinoise… Pour moi c’est très important !
Est-ce que tu as un souvenir particulier lié à la cuisine de ton enfance ?
Je suis issue d’une grande famille, j’ai 5 sœurs et 1 frère. Quand j’étais petite ma mère est tombée très malade, elle ne pouvait plus marcher et est restée 45 jours alitée. Mes frères travaillaient et étaient souvent loin de la maison et ma grande sœur s’est mariée. Il ne restait plus que ma petite sœur et moi donc j’ai dû m’occuper de ma mère. J’ai commencé à réfléchir à ce que je pourrai cuisiner et j’ai décidé de faire une salade d’orties. J’ai gouté et me suis demandé ce que je pouvais rajouter, parce que les orties ça n’a pas énormément de goût. J’ai rajouté des pommes de terre, j’ai coupé des oignons, j’ai ajouté de l’huile de tournesol, des tomates longues, de l’ail, de la coriandre et du persil. Et après j’ai goûté et j’ai dit « je ne suis pas morte, alors vous ne mourrez pas non plus, vous pouvez manger ! »
C’est comme ça que j’ai commencé ! Et petit à petit j’ai tout appris parce que j’étais seule à la maison. Je devais me lever à 5h, aider ma mère, aller à l’école avec ma sœur et quand je rentrais j’aidais ma mère à prendre sa douche et ses médicaments, je faisais à manger et ensuite j’allais travailler dans les champs de thé.
Quels sont tes ingrédients phares de ta cuisine ?
Je ne sais pas pour tous les Géorgiens, mais pour moi je dirai l’oignon, la tomate, la coriandre, l’ail, le persil et les poivrons rouges. Avec tout ça je peux tout faire, c’est obligatoire pour le goût et le visuel.
Je n’aime pas trop la viande, quand je suis arrivée ici j’ai regardé tout le monde, comment on communiquait avec les animaux, les chiens… C’est très différent de ma vie d’avant. Quand j’étais en Géorgie je vivais dans une grande ferme avec plein de vaches. Je les voyais petites, les voyais grandir et soudainement on leur couper la tête ! Je n’avais pas mon mot à dire. En arrivant ici j’ai vu une vidéo sur un refuge pour les animaux, en Espagne je crois. C’était comme demander l’asile mais pour les animaux !
Il y a un plat français que tu aimes ?
J’aime beaucoup la sauce aux champignons, je peux la manger avec tout : des frites, des patates, des spaghettis, les spätzles, les œufs !
Quand j’ai fait ma première formation on nous a appris à cuisiner avec de la semoule. J’aime beaucoup la semoule, mais ici c’était très différent. J’en ai refait à la maison, j’ai rajouté des concombres, de la coriandre, de la ciboulette et du thym et j’ai tout mélangé. Quand j’ai fait gouter à mes enfants ils m’ont dit « maman c’est parfait ! ».
Qu’est-ce que tu ressens quand tu cuisines ?
Quand je cuisine je suis très calme, je réfléchis à beaucoup de choses, je ressens beaucoup de bonheur. Je pense à mon plat, je me demande ce que je vais ajouter et réfléchi à d’autres plats.
Avec qui préfères-tu cuisiner ?
J’aime bien cuisiner avec mes enfants, parce qu’ils aiment bien ça. Par exemple un jour pendant le Covid, je me suis réveillée à 3h et j’ai senti que quelqu’un était en train de cuisiner. Je me suis levée et j’ai trouvé ma fille devant une vidéo YouTube en train de préparer un plat chinois. Je lui ai demandé pourquoi elle faisait ça maintenant et qu’elle n’attendait pas le jour ? Elle m’a dit « Maman c’était trop beau », alors je suis restée et je l’ai regardé cuisiner. Après ça elle a commencé à cuisiner tous les jours pendant le confinement, et maintenant c’est une très bonne cuisinière, comme tous mes enfants !
C’est pratique de cuisiner tous ensemble comme ça on fait ça très vite. Moi je coupe toujours les oignons, mes enfants n’aiment pas car ça les fait pleurer. Une de mes filles coupe le persil et la coriandre, une autre coupe autre chose, et on peut tout faire d’un coup. Tous mes enfants aiment cuisiner, c’est très important pour une famille !
Pourrais-tu nous parler d’un plat ou une cuisine qui t’a déjà fait voyager ?
Les sushis ! Avant je ne pouvais pas manger de sushis, c’était bizarre pour moi cette façon de couper les sushis. Mais un jour un ami arménien m’a dit qu’il allait me faire des sushis et qu’on pourrait les manger ensemble. Mais j’ai dit non, je ne peux pas les manger, je ne veux pas voir comment on coupe la tête du poisson, tout ça… Ils m’ont dit « non c’est pas comme ça ! » Et quand j’ai regardé comment il a fait, avec le riz et tous les ingrédients j’ai voulu un peu essayer. Et puis quand j’ai un peu essayé, j’ai voulu goûter et puis j’ai tout mangé !
Aussi, j’ai découvert les burgers. Il y a beaucoup de burgers en Géorgie mais pour moi c’était très difficile, déjà à cause de la viande et parce que je restais toujours chez moi, alors pour moi ça relevait du cosmos ! Puis un jour en France, ma fille m’a demandé si j’aimais les burgers mais je lui ai dit que je ne connaissais rien, ni les ingrédients, ni la façon de le manger. Alors elle m’a emmené à McDonalds. Tous mes enfants me regardaient. Quand on m’a apporté le burger, j’ai demandé un couteau et une fourchette. Alors le personnel m’a regardé en me disant « Madame, on ne peut pas manger comme ça, il faut manger avec les mains, Madame ! ».
Selon toi, est ce que la cuisine permet de transmettre des pratiques, des traditions ?
Ça fait déjà 5 ans que je suis en France et je n’ai pas beaucoup fait de cuisine traditionnelle géorgienne. Mes enfants aiment beaucoup de cuisines de cultures différentes. Quand j’apprends des plats pendant mes formations et mes stages je les refais à la maison.
Un jour ma fille m’a demandé si je pouvais mélanger un plat géorgien et la culture française, alors j’ai dit oui. Par exemple en Géorgie on cuisine du poulet avec du riz en mélangeant tous ensemble, mais ici on sépare les ingrédients dans l’assiette, il ne faut pas trop mélanger. Mais c’est les mêmes ingrédients. Quand je l’ai fait à ma fille, elle a en premier goûter « à la française » avec les ingrédients séparés dans l’assiette et quand elle a tout mélangé, elle a adoré ! Elle a dit que c’était bien de mélanger, et que seulement la décoration changeait.
Par exemple quand j’aurai un restaurant je ferai un poulet rôti comme en Géorgie, mais on ajoutera la sauce aux champignons ! C’est très bien !
Quand je travaillais au Météor, j’ai cuisiné un plat géorgien pour mes collègues, un imerulli kachapuri. Quand je le faisais, tous mes collègues sont venus me demander ce que je faisais parce que ça sentait bon. Ils n’avaient jamais goûté ce plat ; on fait tous des choses très différentes.
Signé : Anna Diaz
Photos : Julia Wencker