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Humans of Food #7
Rwaida
Cuisinière syrienne à Strasbourg

Maman de deux jeunes filles, Rwaida nous raconte une part de son histoire, en lien avec l’assiette, entre la cuisine de son enfance en Syrie, et celle où elle cuisine à Strasbourg en famille.

Est-ce que tu as un souvenir particulier lié à la cuisine de ton enfance ?

Tous les plats de ma mère. Lorsque je rentre de l’école, le repas est prêt. Nous sommes nombreux à venir déguster les plats, la famille vient mais aussi les amis de l’école. Si on aime le repas alors on profite tous ensemble de l’instant présent, si nous n’aimons pas ma mère refait à manger et prépare un plat spécialement pour ceux qui n’aiment pas la première dégustation.

Je me souviens de l’odeur… L'odeur des repas, l’odeur des épices. On est dans une maison en duplex, dès que j’ouvre la porte du bas je sens déjà l’odeur de la préparation, je sais que ma mère est en cuisine et prépare le repas. C’est vraiment le souvenir de l’odeur qui me revient… Avec ma sœur, nous essayions de deviner le plat que ma mère a pu préparer… Et je gagne toujours ! Je distingue très bien les odeurs, j’ai un bon odorat et j’aime ça. Je me rappelle aussi que nous nous disputons souvent avec les voisins et les voisines pour savoir quelle mère cuisine le mieux !

Quels sont les ingrédients phares de ta cuisine ?

J’utilise souvent l’huile d’olive, les épices, l’oignon et l’ail. Il y a un goût spécial qui ajoute au repas une saveur particulière. Il faut bien les griller ensemble au début de la préparation et c’est parfait ! Les épices que j’utilise souvent sont la cardamome, le curcuma et le poivre noir. Ma mère les utilisait un peu mais c’est vraiment moi qui ai appris à apprécier ces ingrédients et ces épices. Mon mari aussi aime cuisiner ces ingrédients et les rajoute toujours à sa cuisine.

Est-ce qu’il y a un plat ou une cuisine particulière qui t’a déjà fait voyager ?

Les plats portent les souvenirs avec. Quand je mange un plat j’imagine, je me souviens. Par exemple, la pastèque. Quand je mange de la pastèque je reviens à mon enfance, ma vie en Syrie. Je me souviens de la manière dont on mangeait tous ensemble le fruit, l’été. Ça me rappelle beaucoup de souvenirs, je ne fais pas un voyage dans un autre pays mais dans le passé.

Mon père avait l’habitude de planter des pastèques dans le jardin et tout l’été on mangeait de la pastèque, on la voyait grandir. Il nous expliquait la manière de manger le fruit, comment enlever les feuilles. Oui, je me souviens… la feuille, dessus, à une forme d’escargot. Il faut que la feuille soit sèche, ça veut dire que c’est le bon moment pour la manger.

Une fois que la première graine est plantée, il faut attendre presque un mois pour pouvoir déguster. Ce sont de grandes pastèques, à la fin de l’été, tout est prêt et nous pouvons les manger. On en mange vraiment tout le temps, il n’y a aucune règle !

Selon toi, est ce que la cuisine permet de transmettre des pratiques, des traditions ou encore des héritages culturels ?

Bien sûr à 100% ! La cuisine transmet la culture, la langue. Pour moi, la cuisine est une langue. Dans Stamtish vous avez essayé également. C’est la langue de l’odeur, des ingrédients. La cuisine transmet les cultures, les traditions, la cuisine est un trésor. Chaque pays à son trésor dans la cuisine. C’est essentiel pour la vie, on ne peut pas ignorer la cuisine, elle existe partout et depuis toujours. Elle se développe, se diversifie, change, mais chaque pays à sa langue et sa cuisine. En effet, quand on voyage, on remarque deux choses importantes : la cuisine et la langue. Chez nous, en Syrie, il y a beaucoup de départements avec chacun sa spécialité. Ma mère vient du Sud et elle m’a transmis la langue et la cuisine du Sud.

Est-ce qu’il y a une tradition particulière en Syrie que tu souhaites partager ?

Normalement on mange à même la terre. Il n’y a pas de table, tous les plats sont par terre et nous sommes assis devant les plats. En fait, il ne faut pas être trop en hauteur. Si nous souhaitons mettre les plats sur un socle, on les met sur un tabouret. Mais pas trop haut. Il ne faut pas que les personnes soient plus haut que les plats. Ce n’est pas poli. Il y a un respect à avoir entre les individus et le repas. Tout le repas est sur la table basse ou le tabouret, nous attendons la mère de famille et on commence à manger tous ensemble. Si quelqu’un est en retard, ce n’est pas grave, il peut prendre le repas en route. Le plus important c’est que la mère, qui a préparé le repas, soit présente.

Ensuite chacun se sert ce qu’il veut, ce qu’il souhaite déguster. En Syrie, c’est impoli de finir son assiette. Cela voudrait dire que nous n’avons pas eu assez à manger, que nous ne mangeons pas chez nous. Concernant cette tradition, je comprends maintenant qu’en France c’est différent et j’accepte vraiment cela. Je préfère que les invités terminent leur assiette, j’aime ce détail.

Selon toi, est-ce que la cuisine peut créer des liens entre des personnes qui viennent d’horizons divers ?

Oui totalement ! Et peut-être qu’un jour les repas mélangés existeront. Les fusions entre deux cultures. Par exemple, nous pourrions inventer des falafels farcies aux fromages ! On pourrait essayer, cela permettrait de tisser des liens entre deux cultures. Toute la vie on apprend à se développer, c’est comme les gens, ils se développent également. Lorsqu’on arrive dans un nouveau pays on ramène avec nous notre culture mais lorsque nous sommes en contact avec des français par exemple, on apprend également. C’est un échange entre nos deux cuisines. Si nous ne continuions pas constamment à apprendre, la vie resterait trop solide, trop stable.

Est-ce que tu veux me raconter ta première découverte en France ?

Oui ! La première fois en France était un cauchemar ! Je déteste le fromage et la crème. J’étais complètement bloquée. Cependant, j’adore les desserts ! Oui pour les plats c’était vraiment compliqué mais pour Hussam, mon mari, il appréciait bien. Alors j’ai fini par m’habituer. Par exemple avec la tarte flambée. C’est très original et j’apprécie ce plat car il porte la culture, la vie des alsaciens, j’adore les plats qui portent une civilisation. Je pense alors à la première fois que la famille, la mère, a fait la tarte flambée. Je pense au temps qu’elle a dû mettre à préparer le plat, à l’aide qu’elle a reçue. Je pense également au besoin. Oui car il faut du besoin pour pousser les gens à créer. La pauvreté peut donner des avantages dans la cuisine… On doit créer des plats avec ce qu’on a entre les mains. S’il n’y a que des pommes de terre, alors on fera un plat à base de pommes de terre. Et aujourd’hui j’ai appris de cela. Je regarde ce qu’il y a dans le frigo, et je cuisine. J’utilise ce que j’ai et j’apprécie cela. On ajoute ensuite notre savoir, notre patrimoine, avec les épices que j’aime par exemple.

Avec qui tu préfères cuisiner ?

En règle générale je préfère cuisiner avec ma famille, ils ont conscience de ce qu’on mange parce qu’on a grandi ensemble. Avec la famille, on se comprend sans se parler, on n’a pas besoin de s’expliquer, c’est fluide, ça facilite les choses. Avec les autres, je dois expliquer. Maintenant, je peux cuisiner avec Hussam, j’ai appris à le faire et ça me convient également.

Est-ce que tu aimerais transmettre la cuisine ?

Je n’essaye pas forcément de transmettre cela à mes enfants. J’aimerais bien oui, cela me rendrait fière. Pour moi, si une femme arrive à faire ce qu’elle veut dans la cuisine, c’est génial ! Je pense vraiment que c’est un point fort pour les femmes.

Cependant, avec la nouvelle génération, je ne sais pas… En Syrie, malheureusement, ce n’est pas un métier pour les hommes. Cependant, si j’ai un garçon, j’aimerais bien lui transmettre la cuisine. La nouvelle génération a cette mentalité j’ai l’impression. Je vois avec mes filles par exemple, ce n’est pas la peine de cuisiner, elles vont manger quelque chose de rapide alors que lorsque j’étais petite c’était vraiment quelque chose d’important.

Que te semble être le rôle du repas ?

Pour moi, le repas regroupe la famille, c’est le temps où nous sommes tous ensemble, on discute, on échange. Après le repas, chacun fait ce qu’il veut mais là c’est vraiment un temps ensemble. Maintenant le dimanche, pour le petit déjeuner, je demande que toute la famille soit réunie, et nous mangeons ensemble. C’est important pour moi de garder cette tradition… Yasmine dit des bêtises, on rigole, c’est vraiment un moment de pause, un instant entre parenthèses.

J’essaye aussi de garder la même tradition que ma mère, quand j’étais petite. Lorsque les filles rentrent de l’école, on mange ensemble pour que je puisse leur laisser un souvenir. Je souhaite créer la même ambiance que celle que j’avais étant petite. J’entends les filles arriver et je cuisine pour elles.

Pourquoi est-ce si important pour toi de cuisiner ?

Derrière la cuisine, il y a une idée importante. Celle de me libérer. Quand je n’ai rien à faire, je me lève, je rentre dans la cuisine, j’ouvre le frigo et je vais essayer de faire un plat. Je cherche sur internet pour essayer de faire de nouvelles préparations, même si ce n’est pas l’heure de manger, je fais des gâteaux.

L’architecture m’a donné quelque chose… La beauté qui se trouve dans chaque chose de la vie. La cuisine ressemble à l’architecture. C’est une beauté spéciale, celle de préparer le plat final. On peut ajouter des fleurs, des détails. De A à Z, de la préparation du plat au résultat final, il y a beaucoup de détails qui nous font plaisir. Tout existe dans la cuisine, la vue, l’odorat, le toucher, le goût, l’ouïe, les cinq sens. C’est l’idéal.

En Syrie, la pièce la plus importante c’est la cuisine. Avant même de construire une maison, on réfléchit déjà à la cuisine. Il faut que la cuisine soit la plus belle pièce. On y passe beaucoup de temps alors il faut que la pièce soit belle.

Est-ce que tu as envie de me décrire la cuisine de ton enfance ?

Oui bien sûr ! La cuisine de ma mère a une petite fenêtre qui donne sur le jardin… des oliviers dans le jardin… La planche de travail ressemble à un L, les rangements sont au-dessus. Il y a un petit ventilateur qui permet de sortir les odeurs et la porte est de couleur brune. C’est une grande pièce mais ma cuisine est encore plus grande.

En Syrie, on a construit notre maison et j’ai construit ma cuisine. On a dépensé beaucoup d’argent pour cette pièce. Il y a un balcon où on peut manger le soir… Il y a une grande fenêtre qui donne sur la rue avec une vue magnifique… on voit les fleurs, les arbres, les rangements sont aussi de couleurs brunes. Il y a également des carrelages que j’ai faits moi-même. Les chambres ont beaucoup moins d’importance, la cuisine est plus importante que le sommeil.

Signé : Juliette Donnarumma

Photos : Christine Noël

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