top of page

Humans of Food #11
Shadi
Cuisinier syrien à Strasbourg

Shadi est un artiste de l’assiette : “Quand j’étais étudiant, je préférais cuisiner, chercher des nouvelles recettes, jouer avec les recettes. J’imagine mon assiette comme une peinture. Je réfléchis à comment je vais préparer l’assiette, plus que sur le gout. Les yeux mangent d’abord et ensuite la bouche.”

Shadi_1.png

Peux-tu te présenter ?

Je suis Shadi, j’ai 28 ans et je viens de Alep. Je suis ingénieur de formation, je suis sortie de Syrie en 2013 à cause de la guerre. J’ai commencé par le Liban, et puis Jordanie, Irak, Turquie, Grèce, Allemagne et France. Je suis en France depuis 3 ans. Quand j’étais étudiant, je préférais cuisiner, chercher des nouvelles recettes, jouer avec les recettes. J’imagine mon assiette comme une peinture.

Est-ce que tu as un souvenir particulier lié à la cuisine de ton enfance ?

La cuisine a commencé quand je suis parti de Syrie, en Syrie la cuisine c’est pour les femmes. Quand j’étais au Liban, je faisais juste de l’omelette, et ensuite avec internet j’ai évolué. Les échanges avec les gens aussi, je demandais comment on faisait. Je suis devenue un petit Chef. J’ai toujours aimé la cuisine, je demandais à ma mère pourquoi on met des oignons et pas des carottes mais elle me répondait « Non ». L’air de dire « Ce que la mère cuisine, tu manges. Ce n’est pas à toi de cuisiner ». Ensuite, j’ai travaillé avec UNICEF au Liban et là je cuisinais. Quand je cuisine, j'ai le souvenir de ma mère qui cuisine et qui fait à manger.

Mon premier souvenir ce sont mes premiers falafels, ils étaient moches mais j’ai vraiment pris du plaisir. Lorsque j’étais au Liban, après deux mois, mes parents sont morts. Mais quand je cuisine, j’ai le souvenir de ma mère qui cuisine et qui fait à manger, j’imagine que je cuisine pour eux.

Shadi_2.jpeg
Shadi_3.jpeg

Quels sont les ingrédients phare de ta cuisine ?

L’aubergine. J’adore l’aubergine, j’en mets partout. Je pense à cause de ma mère aussi, pour toutes les familles ce sont souvent les aubergines.

Le cumin aussi j’en utilise beaucoup, j’en mets souvent dans mes plats. Quand je cuisine, je prends tout ce que j’ai. C’est comme pour dessiner, j’ai une petite idée, par exemple faire des falafels mais je sais pas comment les faire, j’essaye. Au fur et à mesure je change, j’enlève, je goute, j’essaye. Et si c’est bon je prends des notes.

Est-ce qu’il y a un plat ou une cuisine en particulier qui t’as déjà fait voyager ?

Pleins de choses. La première fois que j’ai mangé du chou-fleur alsacien par exemple, je n’ai pas aimé. J’ai réfléchi, et j’ai voulu cuisiner du chou-fleur mais pas alsacien. Par exemple, quand j’étais en Grèce et que je voulais manger, je mangeais du poisson traditionnel.

J’adore la pizza quatre fromages, j’en mange souvent. J’essaye d’en refaire mais ce n’est jamais la même chose. Mon projet c’est de visiter l’Italie pour les pizzas.

Selon toi, est ce que la cuisine permet de transmettre des pratiques, des traditions ou encore des héritages culturels ?

Oui beaucoup. La cuisine donne les codes du pays, c’est comme la langue. Par exemple, lorsque j’ai invité une française chez moi, j’ai fait à manger français et quand elle est venue elle pensait que c’était étranger. Si tu aimes manger dans le pays, tu aimes le pays. J’aime forcément l’Italie. Je suis libre avec tous les pays pour manger, j’aime tout tester. Je suis très gourmand. Mais j’ai appris à cuisiner tout seul. Avant de commencer j’ai commencé avec ma tante, elle me donnait la recette mais je ne faisais jamais la même chose, je n’aime pas faire le copy text je dois toujours changer quelque chose.

Le repas du midi est très important et le vendredi midi c’est boulghour poulet. Ça ça me manque beaucoup, toute la famille est à table. Pendant le repas, personne ne parle. Le papa commence à manger, ensuite les hommes, et ensuite les femmes. La première cuillère c’est le papa, c’est lui qui donne la note, pour le respect. C’est silencieux, c’est la religion, c’était avant peut être que maintenant ça a changé. Tu peux juste manger un peu et ensuite partir, les femmes débarrassent. On n’est pas obligé de finir son assiette. En Syrie on mange tout en même temps ce n’est pas comme en France avec entrée, plat, dessert. Je n’aime pas ça, je préfère parler, comment était ta journée.

Pour moi, j’habite dans un petit studio, donc pour moi je cuisine peu. Mais si j’invite quelqu’un je fais le schéma français, entrée, plat, dessert et maintenant je m’y connais aussi un peu en vin, le vin rouge avec quoi et le vin blanc avec quoi.

Shadi_5.jpeg

Ça me rappelle en Allemagne. L’assiette n’était jamais jolie. Je finissais les cours et j’arrivais ma mère avait déjà fait à manger, je ne me posais pas la question de me préparer quelque chose, c’est vraiment quand je suis arrivée et que j’étais seul.

Je réfléchis à comment je vais préparer l’assiette, plus que sur le goût. Les yeux mangent d’abord et ensuite la bouche. Si c’est excellent en goût mais qu’il y en a de partout alors ça ne va pas. Ma mère elle ne fait pas attention à comment va être l’assiette. Maintenant je fais très attention à comment l’assiette sera, j’aime ça.

Avec qui tu préfères cuisiner ?

J’habite tout seul, je mange tout seul. Je n’ai pas vraiment d’amis proches. Si j’avais le choix ça ne me dérange pas de cuisiner avec n’importe qui, peut être avec une copine.

Est-ce que tu aimerais transmettre la cuisine ?

J’aimerais transmettre la cuisine, l’expérience. A tous ceux qui demandent j’aimerais leur transmettre. J’adore avec mes amis quand je cuisine avec toutes les cultures, syriens, italiens, c’est ma partie favorite.

Qu’est-ce que tu ressens quand tu cuisines ?

Pour moi c’est la folie, le plaisir. Je suis très concentré. Une fois avec les cordons bleus j’ai été déçu. Maintenant je les fais très bien mais la première fois c’était très moche.

En Grèce, j’habitais sous une tente, et il n’y avait pas de cuisine. Je faisais le feu avec des amis et je cuisinais comme ça, avec une casserole. On habitait à coté de la mer, on péchait et ensuite on cuisinait, comme le pique-nique, sans sel, sans gras. La cuisine à toujours fait partie de ma vie, ma mémoire sur la cuisine correspond aux pays que j’ai visités. Par exemple la Grèce je me dis j’ai mangé ça « tu connais cette technique ? C’est quand j’étais en Grèce ».

En Grèce je partageais beaucoup la cuisine car c’est très différent. Le Liban et la Syrie se ressemble, je partageais moins.

Ce que je ressens avec la cuisine c’est aussi ma première fois en France. Mon histoire avec la France est vraiment triste, je n’avais pas de carte de séjour, pas de logement. J’ai eu des refus pour le statut de réfugié. Mais je me souviens des huitres à Noël c’était Waouh. C’était vraiment la surprise. C’est la première fois que j’en mangeais, chez nous ce n’est vraiment pas bon et là j’ai adoré. Ce sont des amis qui m’en on fait. Et ensuite il y a la raclette que j’ai aimé, le fait de faire chauffer le fromage, de tout installer sur son assiette. Chez nous c’est pour le petit déjeuner.

Signé : Juliette Donnarumma 
Photos des plats : Shadi 

Photos de Shadi avec la casserole : Sophyen Laacheb

Photos de Shadi avec les moules dessert : Suzanne Ott

 

bottom of page