Humans of Food #1
Lounis
Cuisinier amateur
Est-ce que tu as un souvenir particulier lié à la cuisine de ton enfance ?
Ce qui était sympa quand j’étais petit c’est que je n’étais pas dépaysé quand on partait en Algérie l’été, parce qu’on mangeait exactement la même chose que chez nous. À l’école, je n’ai d’ailleurs jamais trop compris ce que mangeaient mes amis chez eux. Quand je leur expliquais ce que je mangeais moi, il y avait un vrai décalage et ils n’arrivaient pas à comprendre. Ça m’intriguait toujours : « comment ça se fait qu’ils ne mangent pas Lasbane ou Berkoukes comme moi ? » Au fur et à mesure du temps, j’ai compris que c’était dû à mon héritage culturel kabyle.
Pour ce qui est du plat qui a marqué mon enfance, sans aucun doute je te parlerai de felfel szite qu’on appelle aussi tomatish felfel. C’est une salade chaude : on grille des tomates, des poivrons et des piments qu’on coupe dans de l’ail et l’huile d’olive. C’est un peu l’entrée classique de l’été.
Quels sont les ingrédients phares de ta cuisine ?
La cuisine kabyle est une cuisine montagnarde, qu’on associe souvent à une « cuisine de pauvre ». En Kabylie, tout le monde produit et cultive sa nourriture. Il y a un rapport à la nourriture qui est avant tout un rapport à la terre.
En ce qui concerne les ingrédients, il y’en a plusieurs. D’abord la semoule, qu’on utilise pour faire du pain et pour rouler le couscous, bien sûr. Ensuite, l’huile d’olive qui est un ingrédient très symbolique pour nous, car l’olivier est un arbre très respecté. Il n’y a pas d’heure pour manger un bout de pain avec de l’huile d’olive. La cuisine kabyle est aussi une cuisine méditerranéenne, c’est donc sans surprise qu’on mange des tomates, des courgettes, des poivrons ou encore des aubergines. On retrouve aussi beaucoup de légumineuses dans nos plats, des lentilles vertes ou encore des fèves. Il y a d’ailleurs un haricot appelé « haricot ka/ byle », il se distingue par sa petite tache noire qui ressemble à un œil. Enfin, nous avons beaucoup de fruits, la figue par exemple est aussi très symbolique pour nous, c’est une offrande. La période de la cueillette des figues est toujours très festive, on pense à en sécher quelques-unes pour pouvoir les manger le reste de l’année.
Est-ce qu’il y a un plat ou une cuisine en particulier qui t’a déjà fait voyager ?
Quand je suis allé en Guadeloupe, je me souviens que lors de mes premiers jours sur place je ne m’attendais pas à ce que la cuisine soit si variée. Il faut avouer que je ne m’étais pas vraiment posé trop de questions sur ce que j’allais manger là-bas. J’ai pu me rendre compte au fur et à mesure des plats, combien la cuisine des Antilles est métissée et regorge de produits qu’on ne cuisine pas en France métropolitaine.
C’est là-bas, par exemple, que j’ai mangé du manioc pour la première fois. Je dois avouer que je n’ai pas tout de suite trouvé ça très bon. Il avait été cuit à la vapeur, avec, pourtant un délicieux poisson braisé et une sauce pour l’accompagner. Je me souviens de la réaction de mon ami tunisien qui partageait le repas avec moi ce jour-là. Il est venu me voir, un peu désorienté : « Aujourd’hui le repas, vraiment, c’est raté ! ». J’ai beaucoup ri et je me suis rendu compte qu’une cuisine peut être très surprenante pour quelqu’un qui ne vient pas du même pays, voir du même continent. Au fur et à mesure du temps, mon camarade et moi-même avons vite compris qu’il y a de nombreuses façons de cuire le manioc, et qu’il peut même s’avérer très bon. On a bien-sûr eu l’occasion de manger d’autres plats toujours bien relevés et piquants.
Selon toi, est-ce que la cuisine permet de transmettre des pratiques, des traditions ou encore des héritages culturels ?
Je dirai que oui. Pour ce qui est de la culture kabyle du moins, il y a de nombreuses fêtes ou traditions qui sont à associer avec des plats. Par exemple pour Yennayer, le nouvel an berbère, on prépare toujours le même plat : un couscous aux lentilles et à la poule, on l’appelle Seksou lhuts. À l’occasion d’une naissance, on prépare Berkoukes, ce sont des gros grains de couscous qui sont cuits dans une sauce avec des légumes de saison. L’omelette sucrée, Tahboult n’tmelaline, c’est quelque chose qu’on fait quand il y a une réussite, une bonne nouvelle qu’on veut partager autour d’un café. Après, il y a bien sûr des plats qui sont associés à des occasions religieuses comme le mouton pour l’Aïd.
La cuisine pour nous, c’est avant tout du partage. Chez les kabyles, lorsqu’on invite ou que l’on se rend chez quelqu’un, on lui offre toujours des fruits. C’est quelque chose qui m’a toujours un peu surpris parce qu’on le fait même pour des visites anodines chez l’oncle ou la tante. Il y a cette tradition d’offrir du sucre car dans l’imaginaire il apporte la bonne santé et la chance. Un jour ma grand-mère m’a demandé de rapporter un plat à ma mère, lorsque je l’ai ouvert j’ai découvert qu’elle y avait caché du sucre, des œufs et des mandarines.
Selon toi, est-ce que la cuisine peut créer des liens entre des personnes qui viennent d’horizons divers ?
Finalement, on peut être très amalgamé par ce qu’on mange. Il y a plein de plats qui sont fantasmés par des personnes qui ne connaissent pas forcément la culture qui y est associée, moi-même il y a des plats que je pense connaître alors qu’ils n’existent pas. Il faut dire qu’il y a des appropriations qui se font. Par exemple si on s’intéresse à la nourriture tex mex, qui est une nourriture nord-américaine, celle-ci se veut mexicaine alors qu’en réalité c’est la reprise d’une culture gastronomique par une puissance dominante. À partir de ce moment-là, je crois que ça devient aussi quelque chose qui va véhiculer des préjugés. Mais d’un autre côté, les cuisines sont de véritables moyens d’échanger. Le couscous c’est le plat préféré des français mais en même temps il est terriblement méconnu alors qu’il est grandement révélateur des cultures maghrébines. Il mériterait d’être d’avantage exploré, et je crois même que ça ne lui empêcherait pas de rester le plat préféré des français, que tu lui enlèves ses merguez et ses boulettes !
Avec qui tu préfères cuisiner ?
Je dois avouer que je préfère cuisiner seul… mais si je dois répondre je dirai avec ma mère.
Signé : Lucile Ali
Photos : Lucile Ali