Humans of Food #21
Alain
Bénévole et Membre CA
Originaire de Syrie, Maher est arrivé en France il y a 5 ans. Il a d’abord vécu à Paris puis à Marseille où il a participé au Refugee Food Festival et enfin ici à Strasbourg. Depuis son arrivée à Stamtish, Maher s'est toujours motivé et volontaire lors de nos événements. Nous vous laissons découvrir son parcours et sa vie au travers de cette interview.

Peux-tu te présenter ?
Je m’appelle Maher, je suis syrien, en France depuis 2018. Actuellement je suis formulateur de médicaments en Alsace. À l’époque j’étais prof de biologie, physique et chimie, puis j’ai travaillé comme formulateur de médicaments aussi en Syrie. En 2016 j’ai été obligé de quitter le pays, vers le Liban, où j’ai travaillé dans un laboratoire de microbio.
En 2018, je suis venu en France, j’ai appris la langue, j’ai vécu à Paris, à Marseille, et maintenant en Alsace. J’aime beaucoup cuisiner.
Pourquoi aimes-tu cuisiner ?
Parce que j’aime beaucoup manger aussi ! Mais par la cuisine j’ai trouvé une façon de communiquer avec les Français, puisqu’il n’y a pas besoin de beaucoup parler.
En Arabe il y a un proverbe : le chemin le plus rapide vers le cœur de quelqu’un, c’est à travers son estomac. J’ai pensé comme ça. Si je fais ça, ça me donne accès aux gens, ça me fait rencontrer des Français et devenir amis.
As-tu un exemple où la cuisine t’a permis de créer ce lien avec quelqu’un ?
Oui, c’est vous l’exemple ! Je cuisinais à Marseille avec Refugee Food, puis en venant en Alsace j’ai demandé les coordonnées de Stamtish.
C’est un bon exemple parce que ça me pousse à sortir de ma maison, à faire quelque chose. Je me suis fait beaucoup d’amis à Marseille grâce à la cuisine.
Vous connaissez l’histoire du YES man ? Pendant le confinement j’ai regardé le film « Yes man » avec Jim Carrey. C’est un mec déprimé qui vient de se séparer de sa copine, il cherche une façon de trouver le bonheur. Il découvre la philosophie du « YES » d’après laquelle il doit dire oui à tout, et à la fin il y arrive.
À la fin du film je me suis dit que j’allais faire comme ça. Donc j’ai commencé à appliquer l’idée, chaque fois que quelqu’un me propose quelque chose, je dis yes. Parfois c’est des choses bizarres, mais c’est l’idée du film. Je me suis retrouvé dans des situations bizarres. Une fois une amie m’a proposé d’aller danser le flamenco, mais je sais pas faire, j’étais le seul à pas danser comme un idiot. C’est comme ça que je me suis retrouvé à cuisiner avec le Refugee Food puis avec Stamtish.


As-tu un souvenir particulier lié à la cuisine de ton enfance ?
Alors, j’en ai beaucoup. Je vais en sélectionner un. Dans ma famille tout le monde a plus ou moins un lien avec l'alimentation. Du côté de mon père, ils étaient hôteliers-restaurateurs depuis quelques générations. En revanche, je dirais que c’est plus du côté maternel qu’est née cette passion. Mes grands-parents cuisinaient beaucoup, et ensemble. On était convié aussi à participer au repas. Ce sont mes premiers souvenirs de cuisine, ou vraiment j’ai été immergé dans cette cuisine généreuse et de partage. Tout tournait autour des repas qui étaient de formidables moments d’échanges. On prenait le temps de cuisiner. Je me souviens par exemple des crêpes, je suis originaire de Bretagne, j’ai le souvenir de voir ma grand-mère faire sauter les crêpes. On préparait la pâte Jeanne-Marie, c’est une recette ancienne que je suis toujours. On avait plaisir à faire les préparations ensemble et de partager un moment convivial
À quelle occasion aimes-tu cuisiner ?
Je passe beaucoup de temps en cuisine, même en semaine. Mon amie adore ça aussi. C’est vrai que quand je suis seul, je cuisine moins. Soit c’est elle, soit c’est moi, on cuisine à tour de rôle. Et sinon, j’aime bien prendre le temps de cuisinier le weekend. Aller chercher des produits chez les producteurs, vraiment avoir cet échange avec qui l’a fait et comment. Pour moi, recevoir, ça commence avant. Après c’est souvent de la pâtisserie que je fais, je me charge souvent de rapporter une pâtisserie quand on organise un repas entre copains.

Tu préfères cuisiner du sucré ou du salé ?
J’aime les deux pour différentes raisons. j’ai passé un CAP pâtisserie en candidat libre quand je suis arrivé en Alsace en 2020. Avant ça, à part le far breton, je ne faisais pas du tout de pâtisseries. Par contre, j’ai toujours apprécié la cuisine, j’ai d’ailleurs hésité à en faire mon métier. Aujourd’hui je peux dire que j’aime bien les deux pour différentes raisons. J’aime le côté instinctif de la cuisine, la cuisine de fond de frigo zéro-gâchis par exemple est très inspirante pour ça. Aussi, j’aime bien passer du temps au marché, voir ce que je peux trouver : un légume, une épice … c’est une source d’inspiration formidable pour imaginer des plats.
La pâtisserie que j’affectionne, c’est davantage le côté cartésien, notamment la physico-chimie, c’est-à-dire les interactions entre ingrédients. Durant la semaine, je vais sélectionner une pâtisserie à réaliser pour le weekend. La pâtisserie c’est bien connu, c’est de la précision. Ce sont deux côtés de ma personnalité que j'exprime, la créativité et la rigueur.
Parfois je me dis bon la pâtisserie je laisse de côté, c’est trop de contraintes, et je repasse sur la cuisine où c’est plus cool, où je peux avoir plus de libertés. Et à un moment quand j’ai trop de cuisine, je rebascule en pâtisserie. Donc je n’ai pas de préférence pour l’un ou pour l’autre, c’est plutôt des motivations différentes. Je peux aussi m’occuper du menu, de l’entrée au dessert.
Après la cuisine, j’aimerais quand même professionnaliser un peu plus mon approche, me former aussi à tout ce qui est végétal pour arriver à bien préserver et concentrer les goûts. Aujourd'hui j’ai une activité salariée, je suis ingénieur commercial, mais demain c’est une idée de reconversion à creuser. Je me pose encore la question, créer un projet avec un vrai équilibre de vie et faire un métier pour éveiller les curiosités et proposer une alimentation plaisir, saine et durable.
Quels sont les ingrédients phares de ta cuisine ?
Je pense au sarrasin, que j’utilise aussi bien pour le salé que le sucré, et aussi pour des boissons végétales. Le sarrasin j’aime le cuisiner mais j’aime aussi le manger. Ça aide en cuisine lorsque tu aimes manger ce que tu cuisines. Je vais l’utiliser, bien entendu, dans tout ce qui est pâte à crêpes, je l'utilise aussi en pâtisserie. Dernièrement j’ai fait un flan tonka sarrasin. Le sarrasin c’est intéressant tu peux le faire torréfier, tu peux le souffler, ça peut amener du croquant, j’aime aussi l’associer à du chocolat. Le flan, c’était avec du chocolat, mais je pense aussi à des crêpes, du sarrasin chocolat ça marche super bien. Et j’ai essayé dans des boissons fermentées aussi, tu le fais infuser dans du lait végétal et ensuite tu peux le rajouter dans ton café. En pâtisserie, tu peux aussi l’ajouter dans ton lait ou ta crème, c’est la graine que tu travailles.
Autre ingrédient, la cardamome, j’en ai découvert une au goût très subtil sur un marché à Lyon. La démarche est hyper intéressante, c’est un pâtissier qui s’est associé avec un syrien pour en sélectionner sur place. ça m’a rappelé sur quelques points l’approche de Stamtish . J’ai vraiment redécouvert cette épice, qui souvent est mélangée. Celle-ci a une aromatique très développée, je l’ai testée en pâtisserie. Ça m'a donné des idées pour l’infuser et faire des flans, des crèmes anglaises. Donc je suis parti de cet ingrédient, ça dénote, d’ailleurs j’en ai plus, il faut que j’en recommande mais c’est vraiment un ingrédient qui m’inspire.
Quand tu cuisines, seul ou avec des gens, est-ce que tu ressens des émotions particulières ?
J’ai pas mal de passe-temps, je fais aussi des sports d’endurance : de la course à pieds, de la natation. Mais c’est vraiment quand je suis en cuisine que je m’évade. Moins la pâtisserie car il y a ce côté très rigide, mais oui la cuisine il y a vraiment ce côté-là. Et les émotions que ça suscite, c’est un bien-être grâce à ce sas de décompression et rarement une contrainte.
Signé : Anna Diaz et Lou Doire
Photos : Julia Wencker